Les Heures perdues de Pierre Barthès, répétiteur en Toulouse,

ou les choses dignes d'être transmises à la postérité arrivées en cette ville ou près d'icy

Février [1757]

Pendaison

Le lundy 1er de ce mois fut pendu à St. George un nommé Lacroix, picard d'origine, jeune homme au service de quelque grand du côté de Montpelier, à qui il avoit volé 100 louis ; il avoit été, disoit-on, domestique de Mr. de Belesta dans cette ville. Il étoit très bien fait de sa personne, fort résigné à mourir. Il fut livré après l'exécution aux chirurgiens pour leurs démonstrations anatomiques.
C'est la première exécution qui a été faite par le nouvel exécuteur qui occupe la place de Mathieu, qu'on a rejetté pour son yvrognerie. Ce bourreau, par trop d'activité et de précipita[tion], faillit se tuer, s'étant engagé les jambes dans les traversiers de l'échelle dont il se dégagea heureusement par sa force et son adresse.

Feu d'artifice de Messrs les marchands

Le 21e dud[it] jour du lundy gras, messrs les marchands, pour démontrer l'amour et le respect qu'ils ont pour notre Souverain, après un Te Deum qu'ils avoient fait chanter aux Augustins en simphonie le jeudy précédant, où ils assistèrent tous in habitu, selon l'arrêté pris dans leur délibération, terminèrent leur fête la nuit de ce jour, par un très beau feu d'artifice qu'ils firent tirer à la place St. George, sous la conduite et la direction du Sr. Cassaignard excellent ouvrier dans l'art de la pyrotegnie.

Description du foeu

C'étoit un pavillon de plus de 50 pieds de hauteur, ouvert aux deux faces, surmonté d'un dôme dont la couverture représentoit des mers où voguoient des vaisseaux march[an]ds, emblèmes symbolisés du commerce. Sur le comble, on voyoit une plateforme où étoient placés en figures colossales la France personnifiée en figure de reine mettant sa confiance au génie tutélaire de l'Estat qui la protège contre l'envie abbatue à ses pieds et rongée par des serpens qui la dévoroient.
Les pilastres du pavillon du côté de la face septentrionale, regardant l'église de St. George, étoient chargés de devises et emblêmes relatives au sujet du funeste accident arrivé au Roy.
La première représentoit une fusée en flammes attachée à une corde horisontale avec ces mots
Sa fureur la repousse et sert à la détruire. La 2ème un Soleil dissipant la foudre avec ces mots
Mes rayons aisément dissipent ses efforts. La 3ème une flèche envoyée du ciel contre un dragon vomissant des flames, avec cette devise
Ce Dieu contre moy même a tourné sa vengence. Une autre représentoit une faulx brisée et cecy écrit
La faulx du tems se brise à l'aspect des Bourbons. L'autre représentoit l'étoile de Castor et Pollux entre un nuage et un navire avec cette légende
Elle ne peut atteindre à l'astre qui nous guide. L'autre représentoit une mazure d'où sortoit un oiseau charmant voltigeant sur des lys
Elle nous rend l'aurore et conserve les lys. La 7ème donnoit à voir une corne d'abondance renversée sur des lys, on y lisoit
Je répends sur des lys les trésors des deux mondes. La 8ème enfin étoit marquée par une baleine qui s'efforcoit à renverser un vaisseau, avec ces mots au dessous
Le Ciel qui me dirige agit pour ma déffense. Ce feu, dont l'aspect étoit magnifique et très bien décoré, fut très bien exécuté à neuf heures du soir, où tous les marchands s'étant rendus au flambeau et au son des hautbois et des trompetes, ils en firent troix fois le tour et monsr Negrét marchand, capitoul actuel et prieur de la bourse, y mit le feu qui, étant très bien ménagé et d'un goût recherché, dura toujours dans sa force près de troix quarts d'heure, satisfit tout le monde dont l'affluence étoit extraordinaire, tant aux fenêtres que dans la place et termina cette journée par une nuit des plus tranquilles et des plus brillantes qu'on eut veu pendant cet hyver des plus longs et des plus ennuyeux de mémoire d'homme.
Regi regum
Qui dat salutem regibus.

Volume 4, pp. 99-102.

Janvier < Février 1757 > Mars

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