Les Heures perdues de Pierre Barthès, répétiteur en Toulouse,

ou les choses dignes d'être transmises à la postérité arrivées en cette ville ou près d'icy

Janvier [1757]

Exécution militaire

Le 8e de ce mois, à 3 heures de l'après midy, au fonds du cours, on cassa la tête à un jeune homme de 16 ou 17 ans, tambour dans une des nouvelles compagnies du régiment de Traisnel, déserteur depuis 6 mois, pris à Rouen sa patrie, dans le sein de sa famille où il s'étoit retiré. Sa propre sœur, au rapport des cavaliers qui l'ont amené à Toulouse, a été la cause de sa prise, n'étant pas contente de sa conduite à son égard.

Epoque affreuse, assassinat du Roy le 5e de ce mois à 6 heures du soir à Versailles

Le Roy sortant sur les 6 heures du soir de l'appartem[en]t de mesdames de France pour monter en carrosse et se rendre à Trianon, un malheureux, dont la naissance souille le siècle où il a vécu, dont le nom sera exécrable dans tous les siècles à venir et dont la mémoire rendra ce jour d'horreur et d'effroy dans le cœur de tous les bons François. Ce monstre trouva alors le moyen d'approcher sa Majesté au milieu de sa garde sans être appercu. Il tenoit un couteau à deux lames dont l'une étoit une lame ordinaire, l'autre avoit la forme d'un canif et étoit large de cinq à six lignes, et longue d'environ 4 pouces. C'est avec la dernière que cet horrible assassin a donné le coup dans le côté droit de sa Majesté, entre la quatrième et la cinquième côte, de bas en haut, et il a pénétré environ quatre travers de doigt.
Le Roy, quand il le receut, crut être frappé d'un coup de poing, il sentit un peu de chaleur et il ne s'apperceut qu'il étoit blessé que lorsqu'il apperceut couler son sang. On arrêta sur le champ l'assassin, et on travailla tout de suite à instruire son procès.

Signalement du monstre qui a fait le coup

Conséquemment aux lettres d'attribution accordées par le Roy au Parlement pour faire le procès et juger ce malheureux, cet infâme assassin fut transféré de Versailles à Paris à la Tour de Montgommery le 18e de ce mois à 3 heures du matin par 600 hommes des gardes françaoises commandées par Mr. le duc de Biron.
Son nom est Robert-François Damiens, dit Flamand, natif de l'Artois parroisse de Liloy, dioceze d'Arras, fils de Pierre-Joseph Damiens, âgé de 42 ans, taille de cinq pieds cinq pouces, cheveux châtains, sourcils blonds, le nés aquilin, les yeux bruns, le vizage ovale, le menton long, la bouche moyenne, les dents blanches, la barbe blonde, lequel a dit être à Paris depuis plus de 16 ans et avoir servi chés Mrs. De Cilabeau le noir de lys, le vicomte de Noé de la Bourdonaye jusqu'à sa mort, Desvaux et madame de Ste. Creuze et avoir logé ensuite rue St. Jacques cloître de St. Etienne des grus. Le présent extrait a été titré des registres du bureau de confiance où les domestiques se font inscrire.
Dans le mois de juin 1756, il vola à Mr. Michel envoyé de la Czarine 240 louis après troix jours de service avec quoy il partit pour la Flandre d'où il revint à Paris par le carrosse d'Arras le 31e décembre et se réfugia chés sa femme qui ne la voyoit pas depuis 6 ans, laquelle luy ayant demandé s'il venoit se faire pendre, il luy répondit « je vais demain à Versailles, si je réussis, notre fortune est faite ». Il partit le lendemain et ne peut faire son coup que le 5e jour. Sa femme, sa fille et son frère ont été arrêtés, et ce dernier servant depuis 15 ans chés un conseiller au Parlement est mort de chagrin à la Bastille. On a sceu toute sa vie à 22 jours près.

[Cecy nul] Exécution militaire [raporté au 8 janv]

Le 8e de ce mois, à 3 heures de l'après midy, un jeune homme âgé de 1è ans, tambour dans le régiment de Trainel, natif de Rouen en Normandie, engagé depuis 6 mois, déserteur dud[it] régiment s'étant réfugié chés luy, fut dénoncé par sa sœur, conduit à Toulouse, et expédié au lieu accoutumé dans une résignation qui édifia tout le monde.

Te Deum, feux, illuminations, mousqueterie, simphonie, chants, allegresse publique et feu d'artifice

A la vive douleur qui pénétra tous les coeurs dans cette capitalle du Languedoc sur la nouvelle du funeste accident arrivé à la personne sacrée de sa Majesté, comme j'ai rapporté cy dessus, a succédé une joye proportionnée qui a éclaté dans cette ville par des actions de grâces rendues au Souverain, maître des roys, par des Te Deum, des feux d'illuminations, salves de mousqueterie, musique, simphonie, chants d'allegresse publique et feu d'artifice.
Le public et le particulier ont à l'envy témoigné leur allegresse à l'heureuse nouvelle de la santé du Roy et surtout à celle de sa parfaite guérison. Tous les corps de ville, académies, communautés, arts et métiers en ont donné les marques les plus éclatantes par leur empressement à rendre grâces au Seigneur pour la conservation des jours précieux de Louis le Bien Aimé. Les prières ferventes, les aumônes abondantes, les feux, les plaisirs et la joye dont les cœurs étoient générallement pénétrés ont fait connoitre à tout le monde combien les François sont attachés à leur souverain et surtout les habitans de cette province dont Toulouse, la capitalle, se distingue si fort par son amour et sa fidélité inviolable.
Pour cet effet, le lundy 24e de ce mois, monseg[neu]r l'archevêque fit chanter le Te Deum à St. Etienne, le régiment de Traisnel à 18 hommes par compagnie y assista, les grenadiers occupant la porte de l'église, le guêt venant immédiatem[en]t après.
Le Jeudy 27e, messrs du Parlement, au son de la grosse cloche du palais et au bruit de la mousqueterie, firent chanter aussy dans la chapelle de la grand chambre un Te Deum en symphonie, tous les messrs y assistèrent. Le soir il y eut dans l'enclos des foeux et des illuminations. La tour fut aussy éclairée, la cloche ne cessant de sonner pendant toute la nuit.
Le vendredy 28e, les messrs de la manufacture royalle du tabac firent aussy chanter dans l'église de St. George. Le soir, l'hôtel fut illuminé et grand feu partout.
Le 31e, lundy, messrs les capitouls et tout le corps de ville firent chanter un Te Deum en symphonie dans le grand consistoire où assistèrent mesrs du chapitre de St. Etienne qui y vinrent en procession sur l'invitation à eux faite par messrs les capitouls qui leur avoient envoyé deux de leurs collègues avec une partie du guet pour l'escorte.
Le soir, il y eut des foeux et des illuminations par toute la ville.
A leur invitation, tous les arts et métiers à l'envy l'un de l'autre ont fait à qui mieux pour témoigner leur zèle et leur reconnoiss[an]ce envers la Divine providence, par toute sorte d'actes de piété, les uns en plein chant, les autres en faux-bourdon, et les corps les plus nombreux et les plus aisés en simphonie par des foeux, des illuminations continuelles, de salves de mousqueterie réitérées, des aumônes abondantes, par la cessation du travail les boutiques étans fermées, tout ainsy que les jours de fêtes, chaque métier pendant le jour fixé pour cette cérémonie.

Volume 4, pp. 93-98.

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