Les Heures perdues de Pierre Barthès, répétiteur en Toulouse,

ou les choses dignes d'être transmises à la postérité arrivées en cette ville ou près d'icy

Décembre [1756]

Exécution militaire, grandeur d'âme hors de saison

Le lundy 13e de ce mois, au fonds du Cours, prés de la Croix, lieu ordinaire de ces scènes tragiques, le régiment de Traisnel, en garnison en cette ville, fit expédier par la voye des armes un jeune homme de la taille de 5 pieds 3 pouces, déserteur depuis 6 ans. Il fut arrêté à Sens en Bourgonne, et amené icy où il eut la tête cassée.
Ce jeune soldat, au moment qu'on alloit luy mettre le mouchoir devant les yeux, dit au sergent « retirés vous, si vous ne voulés pas que je jure le nom de Dieu » et sans vouloir être bandé, on luy enleva la cervelle tandis qu'il croyoit écarter les balles avec sa main.

Remarques sur l'année 1756
Lict de justice

Ces remarques s'étendront premièrement sur le lit de justice que le 13e de ce mois, le Roy vient de tenir à Paris en Parlement, c'est le huitième que sa Majesté a tenu depuis 42 ans qu'elle occupe le trône de ses ancêtres, elle y a fait enregistrer ses déclarations au sujet de la fameuse Constitution Unigenitus, voulant qu'elle soit receue en France comme loy d'Estat et non comme règle de foy, mettant au néant tous les appels comme d'abus ordonnant que sur le reffus des sacremens on se pourveut aux Officialités pour se faire dire droit, et que la cause par appel en fut portée à la grand chambre des Parlemens, voulant qu'elle en jugeat seule en dernier ressort ; supprime sa Majesté les deux chambres des enquêtes, que de plus un président à mortier présiderait dans les autres chambres à l'exclusion des présidens des mêmes chambres, et encore qu'aucun conseillier ne seroit receu à donner son avis qu'après 10 ans d'exercice.
Sur quoy 15 conseillers de la grand chambre du Parlement de Paris, et plusieurs autres membres des autres chambres, présidens et conseillers ont fait la démission du titre de leurs offices par acte d'eux signé, entre les mains du Roy, pour en faire à sa volonté.

Nota

L'année qui vient de finir auroit donné une grande récolte si elle n'avoit péri par de vents brûlants à la veille d'être coupée. Il y a eu cependant assés du bled, assés de légumes et de fêves surtout au-delà des espérances, jusques là qu'un particulier artisan de cette ville, ayant semé de ces légumes, il en a recueilli six vingts sacs, ce qui donne de l'admiration. Le linet a très bien réussi partout, et la vigne a donné assés abondamment de sa liqueur à tout le monde.
Tout auroit été supportable si le bois et le charbon, denrées dont personne ne peut se passer dans une saison aussy incommode que l'hiver, n'eussent été d'une rareté extraordinaire, personne ne pouvant en avoir, le port Garaud en manquant tout à fait, le peu qu'on portoit valant 9 livres la pagelle et le charbon 36 sols la sache, ne pouvant en avoir que par billet, bien souvent point du tout à cause du monopole des marchands du pont qui, par une intelligence manifeste soutenue par l'impunité, ont empêché le transport du charbon, en ont altéré la qualité par les mélanges des attises, des pierres et de la terre, et ne l'ont jamais donné au poids de 110z comme il leur étoit enjoint, espérant, comme il est arrivé, que leur monopole seroit toléré, eu égard au bezoin général, chacun voulant en avoir, de quelle façon qu'il se trouvant la saizon étant fort rude, et la néscessité publique très urgente.
Gloria in altissimis Deo.

Volume 4, pp. 89-93.

Novembre < Décembre 1756 > Janvier

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