Les Heures perdues de Pierre Barthès, répétiteur en Toulouse,

ou les choses dignes d'être transmises à la postérité arrivées en cette ville ou près d'icy

Février [1755]

Dans la Gazette du 1er de ce mois, il fut écrit que la sépulture du grand Turc se fit à Constantinople de la façon qui suit.
Le corps de Mahomet V fut le 17e décembre dernier porté à la mosquée impériale de Jenigiami, où il a été inhumé dans le tombeau des princes de la maison ottomane. Le cercueil qui renfermoit le corps étoit porté par un grand nombre d'ichoglans, ou pages, dont plusieurs soutenoient le turban de cérémonie du feu Sultan. Aux deux côtés marchoient plusieurs mollhas, ou prêtres turcs, qui jettoient de l'argent au peuple et qui répétoient alternativement :
Mahomet V, grand Sultan, a été enlevé d'entre les croyans, Dieu est grand et miséricordieux, il l'a apellé auprès de luy et de son grand prophète Mahomet, que sa joye éternelle soit la joye des bienheureux. Allah, Allah, Allah, ce qui en langue turque signifie Dieu, Dieu, Dieu.
Ce prince, qui régnoit sur les Ottomans depuis 24 ans deux mois ayant été mis sur le thrône par les Janissaires le 20e octobre 1730, est mort le 13 décembre passé, âge de 58 ans, 2 mois, 25 jours. Il mourut d'un rhûme sur la poitrine à son retour de la mosquée. Son frère Osman III du nom, âgé de 56 ans a été mis d'abord à sa place et proclamé empereur. Omnis Caro foenum.
Il est rare qu'on trouve dans les histoires de cette monarchie qu'aucun sultan ait poussé sa vie aussy loin que celluy cy, et qu'autre que luy aye régné si longtems sur ce peuple léger, factieux et jaloux, qui pour un rien détrône, mutile ou fait mourir ses monarques, c'est ce qui m'a déterminé à m'étendre sur la mort et sur la sépulture de ce prince qui a été universelem[en]t regrété de ceux de sa religion et des chrétiens qui étoient dans ses Etats, tant il étoit affable, populaire et bienfaisant à tout le monde.

Départ des troupes

Le dimanche 16e de ce mois, le premier bataillon du régiment d'Anjou partit de cette ville pour aller à Bourdeaux par la route ordinaire, et le second bataillon partit le lendemain par la route de Muret sans doute pour suivre les étapes.
Je doute que ces messrs trouvent une garnison aussy bonne quant à l'abondance du vin et au prix du pain qui ne valoit qu'un sol la livre et le vin que 3 sous le pega, aussy ont-ils paru la regreter, ils ont resté dans cette ville [blanc] c'est-à-dire depuis [blanc].

Grand orage, foudre

Le 26e de ce mois, à 4 heures de l'après midy, un grand orage s'étant formé du côté de Colomiers et des Ardennes, le temps étant extrêmement affaissé par une grande douceur, le tonnere grondant avec effort, tout ainsy qu'en été par des coups redoublés, avec une grande pluye, la foudre éclata et s'en fut tomber par la cheminée dans la maison d'un nommé Lamire boucher, attenant le logis du Cardinal hors la porte d'Arnaud Bernard. Elle renversa un petit enfant qui étoit auprès du feu, fils d'un nommé Bartas jardinier, sans luy faire autre mal, et puis elle s'évapora par les fenêtres dont les vitres furent brisées.
Personne, selon le bruit public, n'a rapellé la mémoire de semblables accidens, surtout en tems d'hiver, pendant lequel les exhalaisons ne sont pas assés fortes pour former et pour enflammer de pareils météores.

Pendaison

Le jeudy 27e à 4 heures du soir, on pendit à St. George un homme apellé Bernard Gardeil, du marquisat de Gondrin près de Lavaur. Cet homme très résigné mourut pour avoir tué d'un coup de faucille en son corps deffendat un nommé Pierre Sentech du même endroit, qui l'avoit même pardonné dans sa maladie qui feut de 15 jours, mais Mr. le duc Dantin, à qui la terre de Gondrin appartient, luy fit faire le procès à la sollicitation de la veuve, tout le monde le plaignit, il fut donné aux chirurgiens pour leurs leçons anatomiques.

Arrivée des troupes

Le 28e de ce mois, jour de vendredy, à quatre heures de l'après midy, arriva dans cette ville le premier bataillon du régiment de Lassarre venant de Roquecourbe du côté de Castres. Le second bataillon ayant resté à La Caune dans le Bas-Languedoc.

Volume 4, pp. 38-42.

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