Les Heures perdues de Pierre Barthès, répétiteur en Toulouse,

ou les choses dignes d'être transmises à la postérité arrivées en cette ville ou près d'icy

Juin [1753]

Mission à St. Pierre

Le 17e de ce mois par une procession solemnelle qu'on a fait dans la paroisse de St. Pierre de Cuisines, des pères jésuites des collèges de Cahors et de Montauban, selon ce qu'on a dit, ont fait la cloture de la mission dans lad[ite] église par des exercices réglés et pathétiques. L'affluence étoit grande et la ferveur généralle dans tous les sujets. Cette mission a duré 3 semaines et cejourd'huy on a planté la croix de fer, grande telle qu'on peut la voir adossée à la muraille à gauche en entrant dans lad[ite] église.
Cette croix, toute grande qu'elle est, a été portée en procession par les bayles de l'oeuvre et par d'autres paroissiens zélés, et elle fut donnée par la selon ce qu'on a publié, l'ouvrier qui l'a faite, et qui, non seulement par cet ouvrage, mais pas une infinité d'autres qu'il a fait à Toulouse et dans d'autres lieux voisins, mérite d'être inscrit dans les fastes de l'immortalité, est le Sr. Lortet, maitre Me serrurier de cette ville, homme unique dans l'art de travailler le fer et de le rendre docille à prendre les différentes figures du dessein le plus corrcét et en même temps le plus bizarre.
La grande croix de bois donnée par la paroisse ne fut pas portée en procession et elle fut plantée le 22e dud[it] mois de juin hors la porte du Bazacle.

Mission à St. Nicolas

Le même jour 17e de ce mois, jour de la clôture de la mission de St. Pierre, fut faite l'ouverture de la mission à la paroisse de St. Nicolas, par les mêmes missionaires, hommes zélés s'il en fut jamais et vrayment apostoliques.

Omission
Rature d'un autre pénitent gris

J'avois omis de mettre à sa place la rature d'un autre confrère pénitent gris, homme fier et superbe et qui depuis longtems méritoit de subir le même sort de ses consors cy devant nommés, les ayant imités et même surpassés en tout genre d'insolence, d'impertinence et de peu de soumission.
Le dimanche donc 6e may passé, pour des emportemens affreux, quantité de parolles salles proférées à l'enterrement du Père Magré cordellier doyen de nôtre compagnie, contre l'honneur de certains confrères et plusieurs menaces faites, soutenues et réitérées sans respect et aucun égard pour la dignité de ses supérieures : on procéda l'après midy de ce jour, à la rature et exclusion sérieuse d'un nommé Laureau maître de choeur actuellement en place, qui sans espoir de retour, a été rayé du livre de la compagnie, très digne en celle de cette devise parodiée du Psalmiste.
Eradatur de Libro poenitentium et cum bonis non scribatur.

Arrêt notable du Parlement de Th[ou]l[ous]e

Du 18e juin de cette année 1753
Messrs les avocats au palais, ayant accoutumé de solemniser la fête de St. Yves leur patron, et cette faite qui se trouve le 19e du mois de may, ayant été renvoyée au samedy 2e de ce mois pour une plus grande pompe. Le sermon qu'on donne ce jour là le matin à la messe ayant été prêché par le Père Jean-Antoine Dezeuzes, professeur de rhétorique au collège des pères jésuites de cette ville. Ce père se laissant emporter à la force de son éloquence soutenue d'un zèle indiscret et mal placé, eu égard aux circonstances critiques de ces tems par rapport à la religion, se déchaîna très fort contre la nécessité des appels comme d'abus, et tomba dans une invective marquée. Ayant été décrété, ouy et suppliant par des requeêtes où il désavoue tout ce qu'il a dit, reconnoissant au contraire l'utilité des appels comme d'abus, pour la pureté de la religion et le soutien de l'Etat.
La Cour, après le vû des charges et aveus consignés dans l'interrogatoire et req[uê]te dud[it] Père l'a condamné d'être admonesté dans la chambre du Conseil, avec deffenses d'y revenir, luy déffent d'enseigner, ni professer dans les classes et écoles publiques, sous les peines de droit, pendan ce tems et terme de cinq années, et enjoint à ses supérieures de tenir la main à l'exécution du présent arrêt à peine de saizie du temporel.
Cet arrêt prononcé à Toulouse en Parlement le 18e juin de cette année, au rapport de Monsr. de Montgasin, a été par ordre de la Cour imprimé et affiché dans tous les carreffours et places de la ville.

Réprimande faite au Père Dezuzes par Mr. le premier Président

Vous avés été instruit par l'arrêt de la Cour, combien elle improuve l'abus que vous avés fait de votre ministère pour censurer, et pour énerver l'authorité des loix, et des maximes du Royaume aussy anciennes qu'elles sont nécessaires au maintien des droits, et de l'indépendance légitime de la couronne de nos Roys contre les entreprises de la puissance ecclésiastique. Les loix ne sont pas moins utilles à la discipline de l'Eglise. Vous apprendrés à en connaître le mérite, et à les respecter. Retirez vous.

Volume 3, pp. 42-45.

May < Juin 1753 > Juillet

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